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Du contrôle et des règles vers la confiance et la liberté de travail

Comment les entreprises peuvent-elle s'éloigner du modèle Big Brother et développer une relation de confiance avec leurs employés?


Ce texte se veut un complément de l'article "Comment transformer votre gestionnaire contrôlant en leader qui vous fait confiance".


Regarder l'épisode de podcast vidéo associé à cet article :


Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les entreprises se fendent en quatre pour contrôler et surveiller leurs employés? Pourquoi les manuels d’employés, une fois les annexes ajoutées, commencent souvent à ressembler à des annuaires téléphoniques collectionnant les listes de choses à ne pas faire?


Le problème est lié au système de salaire que nous utilisons: essentiellement, les entreprises paient pour notre temps, et pendant la période payés, nous cessons d’être des personnes et nous devenons des ressources. Yep, au même titre que le photocopieur.


Guidées par un idéal mythique d’efficacité, dont le but est de maximiser les profits pour les actionnaires, ces entreprises veulent en “avoir pour leur argent” avec votre temps qu’elles achètent. Avec le temps et la montée de la bureaucratie cependant, cette notion s’est éloignée de l’obtention d’une valeur actionnable pour être remplacée par un niveau d’affairage.


Alors que se passe-t-il lorsque l’on donne plus de liberté aux employés? Est-ce le chaos? La disparition de la motivation? L’annihilation des profits?


Non. Parce qu’avec la montée de la liberté et de l’autonomie, vient la montée de l’imputabilité.


Une vraie imputabilité. Une imputabilité de résultats, liée intimement avec la responsabilité d’exécution et l’autorité d’action. On ne peut être vraiment imputable si l’on n’a pas l’autorité d’agir, et l’on ne peut avoir d’autonomie ou de liberté véritable sans imputabilité.


Aujourd’hui nous allons explorer les cinq paliers pour passer du contrôle et de la surveillance vers une liberté via l’imputabilité d’impact. Cette tendance en est une d’extrêmes, avec les paliers 1 et 5 qui sembleront tout droit sortis d’oeuvres de fiction.


Un petit rappel...

Avant d’aller plus loin, il est important de rappeler que les paliers décrits ici ne forment pas une échelle à gravir d’un bout à l’autre. Il s’agit d’un spectre, dont les paliers ne sont pas toujours clairement séparés.


‌‌Cette liste se veut informative, vous permettant de voir où vous êtes situés, afin de voir ce qui est non seulement possible, mais mis en pratique par d’autres entreprises. Utilisez-la comme référence et comme inspiration, mais ne faites pas l'erreur d'y voir une méthodologie ou un guide exhaustif. D'accord?


Palier 1: Contrôle et surveillance totalitaires

Surveillance, présence menaçante des superviseurs, hiérarchie imposante, conséquences souvent excessives à la moindre entorse au règlement, à l’échec ou aux objectifs manqués. Les entreprises du palier 1 semblent parfois prendre inspiration de 1984, le roman de George Orwell.


Sous ce palier, les employés doivent s’attendre à n’avoir aucun droit au privé sur les heures de travail: lieux de travail surveillés par les gestionnaires, logiciels espions sur les ordinateurs, cartes à puce enregistrant les déplacements et le temps passé dans certains endroits, et horaires dictés par l’entreprise sans consultation avec l’employé.


Vous appartenez à l’entreprise pour les heures stipulées dans votre contrat. Espérez que ce contrat ne soit pas facilement interprétable en votre défaveur. Ou altérable selon l’humeur d’un gestionnaire.


Le contrôle institutionnel prend trois formes:


La première est l’omniprésence des superviseurs, dont le rôle est de s’assurer que vous travaillez vos heures, que vous respectiez les règles, que vous soyez tenu imputable de résultats insatisfaisants, et, bien sûr, que vous vous rappeliez bien de qui est le patron. L’autonomie est un mot tabou, ou tourné en ridicule parce que, après tout, vous êtes au travail et pas en vacances. Toute action doit être évaluée et autorisée par un supérieur direct. Ne commettez pas le crime de vous adresser à quelqu’un d’autre, ou à un échelon hiérarchique supérieur. Les conséquences seraient néfastes.


La seconde forme est les outils de contrôle. Cartes à puce qui enregistrent où vous allez et pendant combien de temps vous y demeurez. Chaque minute de votre temps doit être affectée à une tâche. Votre poste de travail doté de logiciels espions qui analyse ce que vous faites, quels logiciels vous utilisez et qui repèrent même certaines combinaisons de lettre sur votre clavier. Avec la montée du travail à distance, de plus en plus de ces logiciels mesurent vos temps d’arrêt, voire utilisent secrètement la caméra pour vérifier votre présence.


La troisième est la réglementation bureaucratique. Tout doit être rapporté, comptabilité, analysé (ou non). La paperasserie est intense et inévitable. Chaque employé doit signer des ententes restreignants ses droits et acceptant rétribution selon le jugement de l’entreprise (lisez vos contrats d’embauches et les documents associés). Le département des ressources humaines a pour tâche de créer de nouvelles procédures, réglementations et contraintes, ainsi que de défendre sauvagement les intérêts de l’entreprise face aux employés.


La gestion par la peur domine ces entreprises. La loyauté envers l’entreprise est un devoir, et la délation est considérée comme un moyen acceptable de prouver cette loyauté. Les gestionnaires ne sont pas épargnés, et les abus de pouvoir sont un moyen de contrôle attendu.


Les employés de tout rang reçoivent avec leurs tâches la responsabilité d’exécution et l’imputabilité des résultats, mais jamais l’autorité d’action. Il est donc régulier qu’un employé soit puni (et souvent serve d’exemple) pour une situation dont il est imputable, mais sur laquelle il n’a aucun contrôle.


L’activité principale des employés consiste à éviter de se retrouver avec des problèmes. La création de valeur occupe une place moindre, et souvent loin dans la liste de priorités après tenir les superviseurs satisfaits, suivre les règles à la lettre, se déresponsabiliser de toute décision ou requête, etc..


Le coût de la gestion d’un tel modèle est immense. Rôles dédiés au contrôle ou à la gestion des artéfacts de contrôle (rapports, données de performance, etc..), outils coûteux, et roulement continu des employés. Les employés ne sont productifs qu’une fraction de leur temps de travail, le reste étant consacré à la bureaucratie et à éviter d’être blâmé pour quelque chose.


Cette description peut sembler un peu fantastique, mais ce sont les conditions de travail sous lesquelles se retrouve une très grande quantité de travailleurs. Avec le temps, et l’absence d’alternatives, ces conditions sont simplement perçues comme la normale.


Palier 2: Contrôle bureaucratique

Si le palier 1 est caractérisé par la gestion par la peur, le palier 2 est caractérisé par la gestion par l’indifférence machinale. Ici, la bureaucratie règne suprême.


Règles et procédures strictes gèrent le travail, selon un cadre établi souvent bien loin des réalités quotidiennes des employés. Le milieu de travail est bien moins oppressant qu’au palier 1, et les employés bénéficient de la liberté qui vient avec un anonymat relatif.


Le milieu de travail peut être quelque peu déshumanisant, mais un employé qui respecte les règles et les procédures à la lettre devrait pouvoir éviter les ennuis. Une entorse sera punie machinalement: sévèrement, mais sans empathie ni mesquinerie.


L’entreprise fonctionne sous un système complexe, mais défini. Un employé doté d’une affinité pour la bureaucratie peut reconnaître les règles, les échappatoires, et les manipuler en sa faveur. “Savoir jouer” est une compétence nécessaire pour développer sa carrière et est considéré comme une marque de talent.


La documentation tend à être exhaustive, souvent au point d’être difficile à consulter. Les rapports sont communs et fréquents, une trace de toute activité est soigneusement préservée en cas d’audit ou de besoin de trouver un coupable.


Dans certaines organisations, les activités des employés peuvent être surveillées par des logiciels espions, mesurées et analysées. Dans d’autres, tant qu’il n’y a pas d’entorse à une procédure, les employés sont ignorés.


Les entreprises du palier 2 sont des royaumes de médiocrité. Le gaspillage de potentiel dans ce genre d’environnement est effarant. Celles du palier 1 disposent de superviseurs agressifs qui vont maintenir les employés en activités constantes (occupés, à défaut d’êtres productifs), mais dans la grisaille bureaucratique du palier 2, mieux vaut passer inaperçu que d’accomplir quoi que ce soit. L’innovation doit être laissée “aux professionnels” et les risques doivent êtres évités. Rien ne motive les employés à performer plus que le strict nécessaire.


Pour beaucoup, le palier 2 évoque un “bon emploi”, où il est possible d’être laissé tranquille et de vivre pour les week-ends. Comme l’alternative est le palier 1, c’est facile de comprendre cette perception.


Palier 3: Auto-organisation locale & contrôle organisationnel

Le palier 3 est le paradigme des entreprises Agiles, ou du moins celles qui ont établi des groupes de travail “en mode agile” (notez les guillemets) dans une structure traditionnelle.


Ces organisations sont divisées en une gestion bureaucratique, avec toutes les caractéristiques du palier 2, et en équipes de travail dotées de plus de latitudes et de flexibilité. Ces équipes, habituellement petites (idéalement moins de dix personnes, mais souvent dans la pratique pouvant s’étendre jusqu’au double) sont principalement mesurées au rendement.


Perçue comme “le meilleur des deux mondes” entre le contrôle traditionnel et la flexibilité des approches agiles, la balance est cependant souvent difficile à établir entre ces deux modes de fonctionnement pas toujours compatibles.


Dans le meilleur des cas, la gestion organisationnelle à haut niveau pourra suivre un cours traditionnel, en institutionnalisant des exceptions nécessaires pour assurer la pleine performance des équipes. Notamment, la planification et les budgets associés seront à plus court terme en ce qui concerne les équipes. Les équipes seront des entités stables plutôt que des construits temporaires dans une organisation en silos fonctionnels. Le contrôle sera plus léger tant que le travail est livré régulièrement.


Dans le pire des cas, les attentes des modèles agiles seront imposées aux équipes, mais l’organisation conservera ses habitudes traditionnelles: silos fonctionnels et organisation matricielle, planification et budgets inflexibles, évaluation traditionnelle sur des équipes organisées différemment. La disparité, souvent imposée au nom de l’”efficacité” d’attribution des ressources, causeront une absence de résultats concrets, une tension dans l’organisation et une surenchère des moyens de contrôle sur les équipes.


Palier 4: Liberté via imputabilité de productivité

Les entreprises ayant adopté une agilité organisationnelle (plutôt qu’un “mode Agile” en exécution) définissent le palier 4. Ces organisations sont plus morcelées et orientées vers des buts communs que gérées de façon bureaucratique.


Ici le mot d’ordre est productivité: livrez des résultats et adoptez-vous rapidement au changement, et vous aurez la liberté d’action. La majeure partie des décisions sont prises à un niveau plus local pour respecter le contexte des groupes de travail et pour faciliter l’adaptation. Le contrôle sur les équipes et des individus sera léger et limité, tant que les résultats sont livrés. Même en cas de difficulté, les remèdes seront souvent déterminés de façon locale.


Le réflexe de blâme omniprésent dans les paliers 1 et 2 a disparu. L’imputabilité prend une nouvelle forme et une importance plus significative: plutôt que de signifier où mettre le blâme, l’imputabilité est collective et implique maintenant que toutes les mesures possibles pour atteindre le succès doivent être prises. La faute est reconnue et corrigée localement sans avoir besoin de faire de chasse aux sorcières. Le rôle des gestionnaires est de créer les conditions de succès et d’appuyer les efforts des divers groupes de travail.


Les équipes sont essentiellement autogérées: imputables de leurs résultats, elles vont évaluer et gérer leurs membres, adresser la majorité des problèmes à l’interne. Les vacances, horaires, lieux de travail et dynamiques d’équipes seront décidés par les membres de l’équipe. Collectivement en tant qu’équipe, les employés vont fournir les preuves de leurs résultats à l’organisation ainsi que la justification de leurs décisions.


L’organisation n’interviendra auprès des équipes qu’en cas de besoin, si la situation devient manifestement incontrôlable. Ces interventions prendront le plus souvent la forme de support (ressources, experts, coaches) pour permettre au groupe en difficulté de rétablir sa situation.


Ce palier n’est possible que pour les entreprises qui sont également assez progressives sur les paliers de la décentralisation et du leadership soutenant.


De plus, la haute productivité n’est pas synonyme d’impact: il est encore possible de livrer beaucoup de travail dont la valeur et la portée sont plus limitées. Il est encore possible pour les équipes de livrer un projet déterminé d’avance, peu importe la valeur du travail, même si les bonnes structures sont en place pour être plus versatile.


Étant donnée l’habitude aux approches très contrôlées qui sont communes en entreprise, un passage au palier 4 requiert habituellement l’aide de spécialistes qui pourront accompagner l’organisation et les gens dans ce nouveau mode de travail. Pour l’essentiel, le rôle de ces spécialistes sera d’enseigner aux gens comment développer leur agentivité et d’intervenir quand les réflexes traditionnels refont surface.


Palier 5: Liberté via imputabilité d’impact


La notion d’imputabilité prend une nouvelle tournure au palier 5. Maintenant, c’est l’impact plutôt que le volume ou la régularité de livraison qui compte. L’impact étant une notion plus abstraite, et qui nécessite l’accès à une variété de données plus grande pour être justifiable, les entreprises de palier 5 doivent se doter d’une dynamique très différente, très axée sur le contrôle que les équipes ont sur leur environnement.


C’est donc un renversement dramatique de la notion contrôle. Ce sont maintenant les équipes qui vont surveiller et mesurer les zones où l’impact de leur travail doit se faire sentir; incluant les habitudes des utilisateurs, les données marketing et les données financières de l’entreprise! Via ces mesures, les employés pourront tenter diverses expériences pour mesurer et améliorer l’impact de leur équipe.


Pour maximiser leur succès, les équipes sont libres de jouer avec leurs marges budgétaires, leurs membres, leur horaire, lieu de travail, répartition des efforts, règles et procédures, et même leurs salaires. Tant que les objectifs de l’entreprise sont atteints, leur liberté d’action est quasi-totale. Si ces objectifs sont dépassés, c’est aux équipes de mieux juger comment gérer ces surplus en collaboration avec la direction.


Il en revient aux équipes de justifier leurs actions et décisions à l’aide d’une démonstration claire de l’impact de leurs activités. De fait, la couche de gestion de l’entreprise est minime. De nouvelles initiatives vont voir le jour au sein des équipes (seules ou en collaboration) et seront entièrement gérées par elles. La direction voit son rôle limité à dicter la direction de l’entreprise et à émettre certains objectifs.


Les initiatives dont l’impact n’est pas satisfaisant sont abandonnées. Les équipes dont l’impact continue de décevoir seront dissoutes, le personnel appelé à intégrer d’autres équipes ou à en former de nouvelles.


Ce genre d’entreprise peut changer beaucoup en très peu de temps, selon les décisions que vont prendre les employés. Pour beaucoup d’observateurs, la situation pourra sembler chaotique et la direction ne semble n’avoir de contrôle sur ce qui se passe. Cependant, la première raison d’être d’une entreprise est de faire des profits et de demeurer soutenable dans le temps, ce que les entreprises du palier 5 conservent comme directive principale.


Atteindre le palier 5 ne demande pas de gens dotés de talents spéciaux mystérieux. Ça demande cependant d’avoir des gens engagés, en contrôle de leur agentivité, habitué à l’auto-organisation et formés pour bien comprendre et calculer la mesure d’impact. Le palier 5 ne s’improvise pas, mais est le résultat d’un investissement constant et délibéré dans ses employés.


La transition vers un tel modèle bénéficie d’un accompagnement, mais en toute transparence les coaches qui ont de l’expérience tangible dans ce domaine spécifique sont extrêmement rares, s’il en existe. Faites-vous accompagner, mais trouvez quelqu’un de versatile et talentueux, et comprenez que cette aventure sera nouvelle pour le coach également.


Mais si quelqu’un tente d’abuser de cette liberté?

Le palier 3 et les suivants offrent une liberté de plus en plus grande aux employés. Que faire si des gens malicieux tentent d’en abuser?


Cette crainte est celle que nous entendons le plus souvent pour justifier l'utilisation d'un contrôle serré, du type palier 1 ou 2. Provenant d’un individu habitué à ces paliers c’est compréhensible: dans un système restrictif, surcontrôlé et souvent désagréable et abusif, les gens vont naturellement se désengager, se rebeller et tenter de garder pour eux, de façon égoïste, ce dont ils peuvent se saisir. Après tout, c’est EXACTEMENT ce que font leurs patrons.


À partir du palier 3 cependant, les employés ont non seulement plus de libertés, mais une imputabilité associée au pouvoir d’agir. Maintenant, se faire confier une tâche n’est plus une punition ou un piège, mais une opportunité pour un employé d’utiliser ses talents pour trouver une solution à un problème.


De même, la responsabilité, l’imputabilité et l’autorité, trois notions intimement liées pour avoir des employés engagés et autonomes, sont données collectivement aux membres d’une équipe et non aux individus (incluant à un hypothétique chef d’équipe). Cette notion de collectivité fait en sorte qu’il n’est plus possible de se cacher dans un système immense. Si un membre malveillant d’une équipe de 5-7 personnes abuse de ses coéquipiers, il sera piégé rapidement et renvoyé de l’équipe, parce que les équipes ont cette autorité. Si cette personne ne fait pas preuve de malveillance, mais demeure le maillon faible du groupe, des efforts collectifs seront faits pour l’aider à améliorer sa contribution au groupe.


L’abus n’est donc pas un problème important dans ces modèles opérationnels. Ces systèmes sont faits pour s’autorégulariser par eux-mêmes. Comme ces cas sont rares, il est toujours plus profitable de mettre l’accent sur propulser ceux qui travaillent bien, que sur restreindre le groupe pour gérer des cas isolés (et souvent juste le potentiel de ces cas).


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