Lorsque nous sommes diagnostiqués avec le cancer, ou que quelqu’un qui nous tient à cœur l’est, il est normal de se demander qu’est-ce que l’on peut faire, quel est notre rôle et comment agir avec la situation.
Les émotions, le désir d’aide, l’inquiétude entrent tous en jeu et la situation peut rapidement devenir confuse: est-ce que j’offre (ou demande) assez? Trop? Est-ce que je suis la bonne personne? Est-ce que je devrais?
Cet article m’est personnel pour deux raisons:
Au début des années 2000, ma grand-mère fut hospitalisée pour un cancer du côlon. Naturellement je fut l’un des derniers à l’apprendre et je ne l’ai su qu’après son opération. Je l’ai visitée peu après à l’hopital, et ce fut une grave erreur: La femme qui avait toujours été, pour moi, la personne la plus forte, résiliente et effrontée ne ressemblait dans son lit qu’au cadavre d’elle-même. L’impact sur un jeune moi fut terrible, et surtout ma réaction en voyant mes parents se sacrifier comme proches-aidants pendant une année.
Moi j’étais sur les lignes, ne sachant pas quoi faire, témoins des conflits familiaux, ne sachant pas comment contribuer ou aider dans cette situation. J’ai eu honte de mon inaction et pendant des années, ça a entaché ma relation avec elle, parce que j’avais l’impression de l’avoir laissée tomber dans un moment difficile. Mais elle ne me l’a jamais reproché.
Maintenant je vois une situation un peu semblable avec mon fils. Il a 20 ans, sa propre vie, et il est un fort introverti. Depuis que je lui ai appris mon diagnostique, je peux voir qu’il a de la difficulté à garder contact, à exprimer ce qu’il ressent et à savoir quel rôle il devrait jouer. Je ne lui en veut pas, mais je n’ai pas la force de le guider comme il en a besoin.
J’écris donc ce post pour lui et pour tous ceux qui sont dans la même situation. Je veux que vous puissiez trouver votre place dans le réseau de soutien sans vous sentir coupables.
Je veux que les gens atteints du cancer aient un plan de match simple pour classifier leur demandes d’aide et gérer leur entourage pour faciliter le tout. Nous sommes tous différents, avec des expériences de cancer et des besoins relationnels différents, alors voyez les concepts que je vais décrire ici comme des plans à haut niveau, et n’hésitez pas à les adapter à votre situation.
Une approche par cercles concentriques
Après de nombreuses discussions avec des patients et le personnel hospitalier, j’ai développé une approche en cercles concentriques pour gérer l’entourage, chaque cercle avec des rôles et des niveaux d'implication différents.
C’est important de trouver dans quel cercle chacun est à l'aise. Certains sont exigeants et faire de belles promesses pour avoir bonne conscience n’aidera pas personne: J’ai régulièrement des gens vivant à plus de 100 km de chez moi qui m’offrent de me conduire à mes rendez-vous médicaux, sans réfléchir que ceux-ci sont souvent tôt le matin, qu’il y en a souvent deux la même journée, et que les jours et heures ne sont pas négociables. Ça en fait du kilométrage et des heures de travail à sacrifier, non? Si vous voulez offrir, offrez dans le mesure de vos capacités.
Le cercle dans lequel vous allez vous trouver dictera également votre accès direct au malade. Ne vous sentez pas brimés si vous êtes dans un cercle plus distant et que le malade ne souhaite pas passer du temps à discuter avec vous: dans bien des cas toute son énergie devra être investie à récupérer, et un monde social riche peut être épuisant pour un introverti.
C’est mon cas notamment, et la raison pour laquelle j’ai demandé à plusieurs reprise de ne même pas m’envoyer de bons souhaits, mais à la place de prendre action dans votre entourage et votre communauté pour y faire une différence: montrez-moi que vous poursuivez ma mission en mon absence et ça vaut beaucoup plus pour mon moral qu’une prière, une routine de méditation ou juste de bons sentiments. Pour faciliter le système, j’ai identifié quatre cercles:
Le cercle des proches-aidants
Le cercle de l’équipe de soutien
Le cercle de l’entourage éloigné
Le cercle du reste du monde
Chaque cercle sera de plus en plus étendu, et de plus en plus éloigné du malade. Agissez en conséquence.
Premier cercle: les proches-aidants
Un proche-aidant est quelqu’un qui va donner une aide directe au malade.
Certains proches-aidants vont s’occuper du malade au quotidien, alors que d’autres vont se rendre disponibles pour lui offrir du transport pour ses rendez-vous. Le nombre de proches-aidants, la nature de leur travail et l’intensité du besoin varient beaucoup selon les malades et leurs traitements. Certains n’en auront pas besoin, ou très temporairement, alors que d'autres auront besoin d’une équipe pendant des mois durant.
Ce n’est pas un rôle facile, parce que le malade dépend de ses proches-aidants pour plusieurs aspects de sa vie. Cette aide est offerte en plus des activités normales du proche-aidant, comme la famille et le travail. Si vous souhaitez être un proche-aidant, attendez-vous à devoir vous libérer de vos autres obligations, même à des moments qui sont inopportuns.
Pour les malades, c’est bon d’avoir quelques options, histoire de ne pas toujours demander aux mêmes personnes. Rappelez-vous que ces gens ont des vies et qu’ils font des sacrifices pour vous aider. Certains rôles de proches-aidants peuvent être assez intense: ma femme doit s’occuper de la maison, de notre fille de 10 ans, de moi pendant mes semaines de récupération où je peux à peine me déplacer, tout ça avec un travail à temps plein. C’est beaucoup pour une seule personne. Lorsque ma grand-mère a eu son cancer au début des années 2000, mes parents l’ont pris chez eux et sont essentiellement devenus des préposés aux bénéficiaires à plein temps, en plus de leur emplois normaux.
J’ai également cinq options sérieuses pour me transporter à l'hôpital quand je ne suis pas apte à conduire (ce qui est deux semaines sur trois, parfois plus). Comme mes rendez-vous sont deux fois par semaine sur les heures de travail, avoir plusieurs options permet de voir qui peut se libérer et sacrifier quelques heures pour m’aider.
Les proches-aidants sont essentiels, et le gouvernement le reconnaît comme tel avec des crédits d’impôts. N’oubliez pas d’en profiter si vous vous dévouez.
Second cercle: l’équipe de soutien
Il n’y a pas que le malade qui ait besoin de soutien, mais ses proches-aidants qui sont les plus sollicités peuvent en avoir besoin aussi. Bien sûr, ce second cercle n’est pas toujours nécessaire selon l’état du malade, et les rôles nécessaires varient d’un cas à l’autre. Si vous souhaitez vous impliquer mais que vous n’avez pas la capacité de le faire comme proche-aidant, faire partie du second cercle est une bonne alternative.
Soutien aux proches aidants: Les proches-aidants auront par moment les mains pleines entre s’occuper du malade, de leur propre famille et de leur emploi. Organiser des corvées, comme offrir des plats cuisinés, pelleter une cours enneigée, offrir d’aller faire des courses ou porter assistance avec des responsabilités autres des proches-aidants est une belle façon de s’assurer que chacun puisse porter son attention sur ce qui a de plus d’impact. Informez-vous auprès des proches aidants pour comprendre ce dont ils peuvent avoir besoin.
Soutien aux enfants: J’ai une fille de 10 ans qui a plein d’activités extracurriculaires, et un besoin de se faire divertir dans cette période qui est difficile pour elle. Des membres de ma belle-famille s’occupent donc de son transport pour ses activités et lui organisent régulièrement des sorties, surtout lorsque je suis dans mes périodes ou je suis le plus faible et dépendant de ma femme.
Communications: Avoir une ou deux personnes responsables de communiquer l’état du patient à la famille, aux amis et aux collègues peut être une meilleure idée que pour le malade de gérer les demandes individuellement. Il peut s'agir de publier un état de santé une fois de temps en temps, et de se rendre disponible pour répondre aux questions. Dans mon cas, j’en ai deux: ma femme Marie (également proche-aidante) qui s’occupe de la famille proche, et mon ami et collègue Olivier (également proche-aidant) qui s’occupe de nos partenaires d’affaires. Je communique un peu moi-même mes états de santé pour les curieux du public, surtout via notre outil Discord pour les membres de Go Pyrate.
Les gens dans le second cercle vont souvent avoir un accès direct au malade. Selon son intérêt à faire du social, informez-vous de la possibilité de visites courtes.
Troisième cercle: l’entourage éloigné
La vaste majorité de l’entourage du malade vont se retrouver dans ce cercle. Vous souhaitez être informés de ce qui se passe, vous voudriez même aider si c’est dans vos disponibilités, alors vous être membre de l’entourage éloigné.
À ce point-ci, les besoins principaux du malade sont pris en charge par les deux premiers cercles.Vous n’avez donc pas de stress à avoir avec ça. Offrez de l’aide ponctuelle si vous en voyez l'opportunité et en ressentez l’envie, mais ne stressez pas avec ça. Personne ne s’attend à ce que vous vous impliquiez. Le troisième cercle sera souvent le récipiendaire des communications envoyées par le second cercle. Résistez à l’envie d'établir (ou de rétablir) des liens de communication personnels directement avec le malade sans sa permission: souvent celui-ci sera épuisé et aura déjà beaucoup de choses à gérer autre qu’un cousin éloigné à qui il n’a pas parlé depuis des années ou des amis à peu près disparus. Respectez ces choix et ne le prenez pas personnellement: si votre désir de communication est à propos de vous et de votre conscience plutôt que le bien-être du malade, revoyez vos priorités.
Si vous voulez visiter le malade, ou avoir des conversations directes, DEMANDEZ LA PERMISSION. Particulièrement à l'hôpital. Certains vont apprécier d’y voir de la famille, d'autres (comme moi) vont préférer la tranquillité, et limiter les communications avec les plus proches seulement.
David, mon fils, c’est dans ce cercle que je te vois. Oui, tu es de la famille proche, mais je sais que tu as de la difficulté à vivre ce moment et à l’exprimer. C’est correct. Tu as de mes nouvelles régulièrement et j’aimerais en avoir un peu plus de toi. Mais je ne m'attends à rien d’autre. Passe au travers de ce moment comme tu le peux et rappelle-toi que je t’aime. Apprivoise ça à ton rythme, pas de stress.
Quatrième cercle: tout le reste du monde
Tout le monde a de la famille éloignée, des collègues de travail, des amis éloignés, des voisins, et dans des cas comme le mien, une audience qui me connait plus que je la connais.
Ce sont eux qui forment le quatrième cercle. Tous des gens qui aimeraient quelques nouvelles, mais avec qui le malade lui-même n’a que peu la capacité d'interagir sans que ça ne devienne une corvée.
Si vous avez de bons souhaits à offrir, envoyez-les via les voies de communication établies au deuxième cercle. Ne noyez pas le malade avec ces vœux envoyés directement parce que s’il y a encore du travail à faire ou des communications importantes à gérer (c’est mon cas) celles-ci se retrouvent noyées dans le bruit. Rappelez-vous: la responsabilité du malade est de se remettre et de se reposer. Un cancer est un ennemi exigeant.
Dans le quatrième cercle, vous n’avez rien à faire vraiment. Personne n’a d’attente envers vous. Certains gestes peuvent être appréciés, et soyez à l'affût des demandes du malade: comme je l’ai mentionné plus haut, j’encourage mon audience à me montrer que mes efforts ne sont pas vains et que les gens reprennent ma mission en portant action, aussi petite soit-elle. Utilisez le hashtag #actiongopyrate pour que moi ou quiconque s’y intéresse puisse voir ce que vous faites. Accueillez un voisin, donnez à un organisme de charité, plantez un jardin, portez assistance à autrui, reprenez le contrôle de votre narratif.
Ça fait toujours plaisir de savoir que les gens pensent à nous quand on est en difficulté. Faites juste vous assurer que vos bonnes pensées ne deviennent pas un fardeau. Rappelez-vous: ce ne devrait pas être à propos de vous et de votre bonne conscience.
J’espère que ça rend la situation plus claire
Rappelez-vous que chaque cancéreux aura des besoins différents, et donc ses cercles seront plus ou moins prononcés.
Une dame que j’ai rencontré en oncologie subit un traitement de 30 minutes par semaine en thérapie génique, sans aucun effet secondaire. Non seulement elle n’a pas besoin de ces cercles, mais elle agit elle-même comme proche-aidante pour son mari atteint de la maladie d'Alzheimer.
D’autres qui doivent suivre des chirurgies ou des traitements auront besoin de cercles plus forts. Informez-vous auprès des proches-aidants ou du cercle de soutien pour voir comment vous pouvez aider si vous en avez l’opportunité.
Et si vous le pouvez ou ne le désirez pas, c’est correct. Trouvez votre place dans les troisième ou quatrième cercles. Respectez les désirs et besoins du malade en matière de cercles et d’entourage, et ça va bien aller.
Quels lucidité et éloquance, un texte crée seulement 4 jours avant ton départ.
R.I.P. Maurice. BenGreg